Cher-toi-qui-viens-par-là,
de temps en temps le mercredi, jour de récréation, j’aimerais te proposer un petit jeu littéraire. J’adore ça, inventer ou tester des jeux pour mes élèves, pour mes petits pilotes, pour mes amis, et surtout les jeux où les mots sont les liens qui unissent, qui révèlent, qui transportent.
Aujourd’hui je te propose un petit jeu poétique que j’adore faire avec mes élèves : écrire un plaisir minuscule à la manière de Philippe Delerm.
Ensemble on lit « Le croissant du trottoir » extrait de son ouvrage La Première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules. Et puis après on se lance dans l’écriture d’un plaisir de collégien ! C’est l’occasion d’utiliser notre petite méthodologie pour réussir l’exercice de rédaction du brevet ! Le moment de la recherche d’idées est toujours un moment d’euphorie, de partage, de poésie, les élèves cherchent, disent, mettent des mots sur des moments infimes mais si précieux de leur quotidien de collégien qui quand il n’est pas passé à travers le filtre de l’écriture leur paraît parfois si terne. Au début, ils sont unanimes : « ma vie au collège, elle pue ! » et puis on creuse, et ils se rendent compte que passer le portail le matin leur procure souvent une bouffée d’enthousiasme, qu’apercevoir la personne dont ils sont amoureux dans un coin de la cour les rend complètement dingues, que la sonnerie du midi provoque un sacré soulagement, que l’ironie de certains professeurs les amuse beaucoup… Et pour leur prouver à quel point il peut être jouissif d’écrire, je leur lis le texte que j’ai écrit à l’occasion :
Le seuil
A chaque nouvelle heure de cours, ils arrivent, un à un ou en masse. Une vingtaine de visages aux traits changeants, coincés entre l’enfance et l’adolescence se rangent contre le mur fragile du préfabriqué. Leurs pas martèlent le sol, nonchalants et joyeux à la fois. Certains ont le sourire aux lèvres, d’autres le regard perdu dans leurs rêveries, d’autres ont l’esprit piégé dans le contrôle qui vient d’avoir lieu ou dans une sombre querelle d’amitié dont ils n’arrivent pas à se dépêtrer.
Ils attendent à la porte. Le couloir du préfabriqué est un espace de transition, on y stagne, on y piétine comme dans le terminal d’un aéroport. Et un par un, je les accueille. Je les vois, je les observe, je les regarde, je veux qu’ils sentent qu’ils existent, ici, là, maintenant, qu’ils comprennent d’un regard qu’ils ont tous la même importance, qu’ils seront tous traités de la même manière.
Je leur dis bonjour. Et je les nomme. J’aime prononcer chaque prénom. Égrener cette ribambelle de syllabes au seuil de la classe. Prononcer le prénom de l’autre, c’est le reconnaître, lui prouver d’un mot qu’il est ici à sa place, qu’il existe, qu’il peut avoir confiance et avancer d’un pas sûr, franchir le seuil de cette pièce nue, au plancher abîmé en toute sérénité.
Je leur dis bonjour, chacun leur tour, puis je ferme la porte derrière le dernier élève. Et le cours peut commencer. Nous allons avancer ensemble, à l’unisson comme une famille qui vise le même horizon.
Voilà, cher toi-qui-viens-par-là, si tu veux essayer, ton texte sera le bienvenu en commentaire, n’hésite pas à jouer !
Ada, la collectionneuse de prénoms.
1 mars 2017 at 13 h 48 min
Je prépare mon texte et je te le poste dimanche avec une vraie connexion internet
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2 mars 2017 at 15 h 27 min
Merci, Colette. Ça fait du bien de lire tes mots. Je remplis mes bulletins et je reviens par là pour te confier un plaisir de mon quotidien… A plus tard.
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2 mars 2017 at 23 h 18 min
J’attends vos plaisirs minuscules avec impatience !
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5 mars 2017 at 10 h 16 min
Voici ma modeste prose très certainement avec des fautes d’orthographes et de syntaxes mais l’exercice est sympathique. A demain
Les rituels du début d’année
Nous sommes le 31 Août, dans mon cartable je n’ai pris qu’un cahier et un classeur rose. Il est juste rempli de pochettes transparentes et d’un intercalaire. Il n’a encore aucune fonction, aucun sens. La pré rentrée a commencé doucement puis s’est accélérée avec la distribution des emplois du temps et des listes d’élèves. Voilà en milieu d’après-midi on l’a récupéré la liste de la classe dont on sera professeur principal. Avec un ou deux collègues nous égrenons les noms, nous posons deux trois mots sur chaque élève pour se rassurer, se motiver. Demain ils seront là, le collègue encore endormi va se réveiller, on palpera les espoirs de début d’année, la joie des retrouvailles des débuts d’année, la page blanche prête à s’écrire, mais aussi les appréhensions des plus petits, des plus anxieux.
Mais pour le moment, je prépare chaque geste, vérifie la bannette des papiers à distribuer, mets ma classe en ilots et réalise un plan de classe afin de pouvoir les appeler par leur prénom dès le début sans hésitation. Chacun dans sa classe on se prépare à les accueillir un peu comme on accueille son propre enfant, avant de rentrer je regarde une dernière fois cette liste d’élève, j’espère que l’alchimie aura lieu et que les personnalités de chacun seront belles. Je la range dans la première pochette de mon classeur rose que je pose sur mon bureau comme ça demain il sera là. C’est sur je ne l’oublierai pas.
La rentrée a sonné, je descends l’escalier qui mène de la salle des professeurs à la cour de récréation, avant j’ai pris le temps de vérifier que tout était à sa place dans la salle de classe, je m’avance vers le rang, ils sont là à scruter qui s’avance vers eux, certains sourient d’autres font la moue, c’est comme ça on devra vivre ensemble trois heures et demie par semaine pendant un an, il va falloir apprendre déjà, s’apprivoiser, s’apprécier, s’énerver, donner une seconde et une troisième chance, accepter de vivre avec des personnalités qu’on n’aime pas. C’est cela une classe, un assemblage d’individus qui doivent vivre ensemble pendant une année scolaire, 10 mois pas grand-chose à l’échelle de la vie. J’ouvre la porte et je les installe à la place qui leur est attribuée pour ces quatre premières heures. Une fois qu’ils sont assis j’ouvre le classeur rose, je commence par le premier rituel de leur rentrée, celui que je préfère, j’égrène désormais leur nom avec eux, on vérifie qu’il n’y a pas de coquilles, je lève la tête à chaque fois que j’ai fini de décliner toutes les informations que j’ai à leur sujet… pas grand-chose pour le moment : un nom, un prénom, un régime de demi-pension, deux langues et une option et dans ces pochettes transparentes, il y aura tout le reste, leur espoirs d’orientation, les réussites, les échecs, les aléas de la vie de cette année, leurs rêves d’avenir parfois déçus. Quand l’appel est terminé, je caresse la première pochette transparente encore vide. Ils sont encore calmes et moi je suis sereine, ils vont grandir, et je vais les apprécier un à un avec leurs forces et leurs faiblesses, on va s’accompagner pendant 10 mois et il ne s’en doute pas mais je pense là une demi seconde à cet instant où au mois de Juin je refermerai une dernière fois la porte sur eux et la fierté que j’aurai de les voir courir vers leurs vies. Je savoure le bonheur d’être leur professeur principal.
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