Cher.e toi-qui-aimes-les-livres-pour-enfant,

aujourd’hui je te présente une petite merveille, un bijou d’onirisme : le parfait manuel pour apprivoiser ses rêves les plus sauvages ! J’ai nommé La Passoire de Clarisse Lochmann publié par le si bien nommé Atelier du poisson soluble.

Dans cet album on explore le rêve, mais d’une manière tout à fait originale, car on l’explore par l’action, la re-création ! En effet l’enfant dont nous suivons les péripéties  décide de nous raconter son rêve de la nuit. Mais pas avec des mots, non, avec des images qu’elle même va s’atteler à recréer avec tout son corps. Là voilà au sein d’un paysage qu’elle va modeler pour qu’il ressemble à celui de son rêve de la nuit passée. Tel un démiurge, la voilà qui creuse, qui peint , qui fouille, qui décore, qui arrose cet endroit pour qu’il prenne la couleur, la lumière, la forme de son rêve.

Mais voilà, le rêve, telle une anguille, lui file entre les doigts. Elle ne se souvient plus de tout, elle doute, elle doute de tout ce qui faisait son  rêve au fur et à mesure qu’elle tentait de le saisir.

Et puis au final les derniers souvenirs s’échappent, glissent dans l’oubli, « il n’en reste plus que quelques morceaux ».

Sa tête est devenue une véritable passoire !

J’ai trouvé cette allégorie du désir de reconstruction des rêves que l’on peut ressentir au réveil tellement juste ! Combien de fois, j’ai éprouvé cette sensation à peine réveillée de vouloir prolonger le rêve de la nuit, d’en avoir encore quelques bribes à l’esprit et puis malgré tous mes effort de mémorisation, de perdre peu à peu la consistance même de ce qui faisait l’histoire dans laquelle le monde nocturne m’avait plongée. Cet album m’a rappelé combien le rêve était la nourriture idéale de la création artistique. Les artistes surréalistes du début du XXe siècle l’avaient d’ailleurs bien compris, et l’avaient exploré de mille manières à travers leurs collages, leurs peintures, leurs poèmes et tous les jeux d’écriture qui faisaient la part belle à l’inconscient. Combien j’ai pu être fascinée par cette période de l’histoire de l’art quand j’étais adolescente et combien de fois m’y suis-je essayé, seule ou avec mes ami.e.s, le jeu du cadavre exquis rythmant mes études et les longues plages d’ennui pendant certains cours !

Dans cet album, les couleurs sont intenses, les contours floues de l’aquarelle suggèrent dès le départ cette porosité entre le réel et le rêve, les mouvements de l’enfant nous entraînent au fil des pages comme à travers un film. L’autrice a réussi à rendre palpable ce moment terriblement évanescent, quand notre nuit nous glisse des paupières. J’aime à  relire cet album en essayant moi aussi, au réveil, de remodeler cet univers incroyable que seul mon esprit endormi est capable de créer. Et j’ai envie d’y inviter mes enfants, avec ce slogan à partager dès le réveil : Ne négligeons pas nos rêves !