Depuis 5 ans, je travaille avec des élèves de 6e sur les textes fondateurs de notre culture et La Bible en fait partie. Chaque année je me demande comment aborder ces textes à la fois terribles, essentiels, hermétiques et poétiques qui ont tant d’importance non seulement dans notre culture littéraire mais dans notre Histoire d’humain. Je travaille pour l’instant exclusivement sur des extraits de La Genèse, commençons par le commencement ! Et comme c’est une séquence qui ne laisse jamais indifférent, ni parents, ni enfants (!) et qui soulève toujours des tas de questions, et pas toujours vraiment littéraires, j’ai pris le parti d’aborder les textes bibliques au travers des réécritures que les artistes d’aujourd’hui proposent à la jeunesse. Et que de merveilles !

Hier nous avons redécouvert complètement par hasard La Bestiole de Sylvie Delom et Judith Gueyfier. Nous avons eu la chance de rencontrer l’illustratrice et c’est donc un livre joliment dédicacé que j’ai pu lire à mon Grand-Pilote-de-Balançoire.

Cet album revisite avec une poésie incroyable le mythe d’Adam et Eve, en déplaçant le regard sur la bestiole qui mit fin à la vie paradisiaque du premier couple de l’humanité.

Les personnages ont perdu leur dénominations bibliques : on y rencontre le seigneur d’un jardin, un jardinier et sa femme et donc la fameuse bestiole qui donne son nom à l’album. Les références à La Bible sont donc légèrement effacées au profit d’un récit simple, fluide, rythmé par des dialogues dynamiques. Mon apprenti lecteur a été tout particulièrement happé par cet étrange serpent qui va conduire la jeune femme à désobéir (il se cache sous sa couette à ce moment de l’histoire !) et -ce qui est très rare – il a posé de nombreuses questions sur le vocabulaire qu’il ne comprenait pas (le texte est écrit dans un langage poétique et soutenu qui mérite en effet parfois des explications) et par deux fois il a demandé des éclaircissements sur les sanctions que la bêtise provoquée par la bestiole avait entraînées. Et c’est au travers de sa réaction que je comprends à quel point les textes bibliques sont des textes fondateurs, parce qu’ils portent en eux ce qu’il y a de plus élémentaire dans notre condition humaine et posent les questions qui toujours nous taraudent : obéir ou désobéir ? innocence ou savoir ? le bonheur sans le discernement vaut-il la peine d’être vécu ? La liberté a-t-elle un prix ? Ce prix l’homme est-il capable de le payer ? Sans parler de la question de la mort, de la question de la naissance, de la transmission, de la place de la femme dans l’histoire de l’humanité (ici les auteures ont modifié l’image terriblement sexiste que l’on peut trouver dans certaines traductions de la Bible, au profit d’une image idéalisée de la femme amoureuse et aimée -et ça me convient parfaitement !) du prix du travail, et de la valeur du désir, désir qui est cet improbable cadeau que l’on gagne en perdant tout le reste.

Alors j’aime infiniment cet album parce que :

1) les illustrations de Judith Gueyfier sont absolument MA-GNI-FI-QUES : elle utilise des couleurs très chaudes, une très belle palette de roses, de mauves, de rouges, d’orangés, avec lesquels elle fait contraster de très beaux verts et autres bleus turquoises. Sa représentation de l’Eden, entre jardin japonais et forêt de Brocéliande est vraiment surprenante, douce et   enchantée, je ne me lasse pas de contempler les double-pages de cet album.

2) le rythme des illustrations qui offrent d’abord une image luxuriante de l’Eden puis  peu à peu après la « faute » des pages presque blanches, très épurées où tout le bonheur du départ semble disparaître est vraiment très efficace : mon Grand-Pilote reste bouche bée devant la page où tout bascule : une double page presque blanche avec simplement le jardinier et sa femme qui sont éblouis et leurs ombres sur le papier.

3) le texte respecte vraiment le récit biblique et permet, avec des élèves par exemple, non seulement de découvrir un texte essentiel de notre histoire humaine mais aussi un travail de comparaison très riche qui soulève de vraies questions philosophiques.

4) à la fin de l’album, une petite note fait le lien entre le texte original et l’album, comme dans tous les livres de la collection La Terre nourrit tout (un autre album très beau de cette collection : La tour de Babel, Francine Vidal et Elodie Nouhen, je m’empresse également de le faire lire à mes petits élèves, je vous en reparlerai !) Un vrai coup de coeur, donc !

 

En bref :

Titre : La Bestiole, Sylvie Delom et Judith Gueyfier

Genre : Album

Thème : Adam et Eve, humanité, Eden.

Âge : humain

Date de publication : 2010, Didier Jeunesse.

Prix : 14 €

Imprimé : en France